LE FESTIVAL
Édito
La naissance de la musique baroque est intimement liée à celle de l’opéra. Mais la naissance de l’opéra a été possible grâce à l’invention d’une forme nouvelle, la monodie, qui permet au chanteur d’exprimer les affects les plus variés, joie, tristesse, mélancolie, amertume, tendresse... Tout cela « par sa voix », puisqu’ elle est le medium au centre de ce bouleversement. Voici donc une édition entièrement dédiée à la Voix. Un petit retour en arrière s’impose : comment la voix, ou plutôt les voix, s’exprimaient-elles avant cette révolution ? Elles le faisaient à plusieurs, par la polyphonie. Elles le faisaient de manière traditionnelle comme dans la Missa in Illo Tempore de Monteverdi, monument-hommage aux maitres de la Renaissance, non dénué́ de modernisme, que Musicatreize mettra en regard avec une création de Dominique Lièvre inspirée de Soulages. Elles le faisaient parfois de manière plus étrange, extravagante, comment nous l’entendrons avec les chromatismes exacerbés que restituent à merveille La Camerata Chromatica. Elles pouvaient aussi s’associer avec les instrumentistes, dont l’idéal était alors d’imiter au plus près l’expressivité́ et la souplesse du chant : ce sera tout l’enjeu du projet de madrigaux de Maddalena Casulana, extraordinaire compositrice au destin complexe, première femme à avoir publié́ de la musique, en plein milieu du XVIe siècle. Vous découvrirez aussi le chant d’une autre femme exceptionnelle, celui de la vénitienne Barbara Strozzi. Enfin arrive la « révolution» : une voix peut librement s’exprimer, seulement accompagnée d’un ou deux instruments. La puissance de son message poétique peut se déployer et proprement s’incarner. Mais comment maitriser ce nouvel art sans perdre les techniques d’ornementations qui faisaient la gloire des chantres du siècle précédent ? Il faut en inventer d’autres. Et pour les interpréter de la manière la plus juste, il faut bien placer sa voix. Ce que les italiens appelleront « Disposizione di voce », « disposition de voix ». Tiago Simas Freire, maître ès ornementation, et les étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon vous initieront à tous les secrets de cet art mystérieux. C’est cet art subtil de l’ornement qui fait toute la noblesse du « Chant Noble », Canto Nobile que Concerto Soave a choisi de restituer dans son dernier enregistrement, et que vous pourrez découvrir en concert. Le nouveau chant a donné́ sa voix à toutes sortes de personnages.
En particulier les magiciennes : c’est à elles qu’une magicienne vocale d’aujourd’hui, Lucile Richardot, a choisi de consacrer tout un envoutant programme. Ce nouveau chant gagne vite l’espace sacré. Au nord, c’est Buxtehude qui le consacre. Le grand organiste Bernard Foccroulle et ses amis musiciens nous le feront découvrir, après que l’ensemble Correspondances, dirigé par Sébastien Daucé, ait interprété à Saint-Victor un chef-d’œuvre universel du maîtrede Lübeck, les Membra Jesu Nostri. Nous évoquions l’opéra, il en fallait donc un. Après un des tous premiers, la Dafne de Gagliano, en 2022, voici une autre Dafne, postérieure d’un siècle, bien installée dans le monde baroque. Courtisée par deux amants, un berger et un dieu, très liée à son cher papa dieu-fleuve, son histoire nous est racontée par Caldara et son librettiste avec un entrain, une vivacité́ mêlée de tendresse et de mélancolie qui annonce directement Mozart. Un riche et varié prélude sera à nouveau proposé cette année par le Conservatoire Pierre Barbizet, que nous remercions chaleureusement ! Et le festival se conclura de manière grandiose en l’abbaye de Saint-Victor, avec Le Voyage à Rome et des quadruples chœurs exaltés par les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles.
La voix résonnant à l’infini dans l’espace céleste...
Jean-Marc Aymes, directeur artistique
Mars en Baroque
Un festival autour des esthétiques baroques, curieux, gourmand d’expériences et de rencontres, qui a hâte de partager avec vous sa passion pour ce répertoire.